MARIE MAERTENS
( journalist, art critic, independent curator )
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Renaud Regnery
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« Tout tableau, toute œuvre en général, n’est qu’une réalité intermédiaire »

Marie Maertens : Peux-tu revenir sur tes « sources » de travail – dernièrement des papiers peints – car la peinture, chez toi, n’est jamais simplement une toile et de l’huile…

Renaud Regnery : Même en utilisant des revêtements industriels ou des techniques d’impressions numériques, on fait de l’huile sur toile… En fait, cela a moins d’importance que le résultat : l’image que l’on produit.

Sans vouloir faire, ou si justement, un jeu de mots avec ton lieu de naissance, Épinal, est-ce plus facile de partir d’images présentes dans l’inconscient collectif ?

Dans les devinettes d’Épinal, qui m’intéressent en effet beaucoup, une image est cachée dans une autre. En fait, une image en associe toujours au moins une autre. En m’inspirant de Gilbert Simondon, je dirais que tout tableau, toute œuvre en général, n’est qu’une réalité intermédiaire, entre sujet et objet, abstrait et concret, passé et futur, etc.

Cela te permet-il d’éviter la question du sujet ?

La question du sujet est inévitable.

Est-ce aussi une forme de critique de la surinformation dont nous sommes victimes ?

De manière générale, je trouve le processus de la prolétarisation des êtres, les phénomènes d’uniformisation des comportements et la manière dont nous sommes court-circuités par les puissances dominantes dans nos processus d’individuation vraiment très réjouissants pour l’avenir de la société occidentale.

Le processus de répétition semble important dans ton travail. Je ressens aussi comme un besoin de « fabriquer » l’œuvre…

La différence me semble plus importante que la répétition. C’est dans ce sens justement que la technicité joue un rôle déterminant.

Te distancies-tu totalement de la toile ou imprimes-tu néanmoins une relation plus sensuelle à l’œuvre, comme peuvent le laisser entendre les titres ?

Une relation sensuelle est possible avec toutes mes œuvres, mais une fois le tableau fini, je n’ai plus grand-chose à voir avec ça. Paradoxalement, donner un titre ou un nom aux tableaux leur confère une plus grande autonomie, et c’est aussi une manière de m’en distancer.

Quels sont les artistes qui ont été importants dans ta formation et, aujourd’hui, de qui te sens-tu proche ?

Pendant mes études, j’ai été très influencé par la dimension psychosociale de certaines œuvres comme celles d’Edward Kienholz, Paul McCarthy, Mike Kelley, Franz West, Albert Oehlen, etc. Plus récemment, j’ai été frappé par le film d’Omer Fast à la Documenta de Cassel, et par la dernière exposition d’Elaine Sturtevant à la galerie Gavin Brown de New York.

Tu vis depuis quelques années à Berlin et tu vas être le prochain résident français de l’ISCP à New York. Estimes-tu que les questions géographiques rentrent encore en compte dans un monde de l’art totalement globalisé ? Et pourtant, dans ce rapport à la peinture, vivre à Berlin, Paris ou New York donne une autre lecture, non ?

Bien sûr, le contexte joue un rôle déterminant, même pour une pratique dite d’atelier. Berlin, en raison de son histoire, de sa situation géographique ou de son architecture, définit une esthétique et une dynamique particulières qui se retrouvent dans le travail. Mais c’est aussi une ville-refuge dans laquelle beaucoup d’artistes s’oublient. Il est bon d’en sortir. Bien entendu, j’aborde New York avec une certaine distance critique.

Quel est le projet SOX ?

Le SOX est sans doute, depuis le début des années 1980, le plus petit espace d’exposition de Berlin. C’est une vitrine à Kreuzberg de 3 m de largeur sur 2,5 m de hauteur et 60 cm de profondeur. Il s’agit d’une plateforme pour l’art contemporain dans l’espace public, au sein d’un quartier assez populaire. Chaque projet, de fait, se réduit à un geste qui est visible 24h sur 24. C’est un véritable challenge, y compris pour les artistes expérimentés. Avec Anne Neukamp, nous en avons été les curateurs pendant trois ans et demi. Aujourd’hui, deux autres artistes berlinois, Benedikt Terwiel et Alexander Wagner, s’en occupent.

www.sox-berlin.com

Entretien réalisé en septembre 2012.

Renaud Regnery est né en France en 1976. Il vit et travaille à Berlin.

New Deal, du 22 septembre au 27 octobre, galerie Elizabeth Dee, New York.