MARIE MAERTENS
( journalist, art critic, independent curator )
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Benoît Maire
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Peinture de nuages (Montréal), huile et peinture en spray sur toile, 2 panneaux de 250 x 150 cm, 2017
De novembre à janvier 2017, l’exposition Cloud Paintings, présentée à L’Arsenal New York et votre premier solo show dans cette ville, se concentrait sur une dizaine de tableaux de nuages. Peut-on y revenir ?
Les peintures de nuages sont assez récurrentes dans mon travail, mais j’ai nommé cette série Montréal car j’ai conçu l’ensemble des tableaux dans cette ville où j’étais en résidence. La série peut se reconnaître au type de pochoir que j'ai découpé là-bas, à la gamme chromatique et aux formats un peu différents de ceux que j’emploie en Europe.
Car le sujet n’est pas le nuage en soi...
L’énoncé conceptuel Toute peinture est une peinture de nuages, soutient mes séries de peintures de nuages, tout en s'appliquant aux peintures qui ne prennent pas le nuage comme motif. Par exemple, une pomme sur une table peinte par Cézanne est également une peinture de nuages. Evidement le tableau de Cézanne est une nature-morte représentant une pomme sur une table, mais je veux passer en force mon énoncé conceptuel et dire que si on regarde la peinture non pas à la distance de l'iconicité (qui nous fait reconnaître le signe et donc la pomme sur la table), on voit des nuages. À mon sens le nuage incarne le lieu de prise de forme, il est l'endroit où constamment elle se déploie. Si un nuage ne signifie rien, les gens pointent sans cesse du doigt ce qu’ils y reconnaissent, et donc ils le chargent de significations et de représentations. Ce qui revient exactement à la définition de la peinture (surtout abstraite), où finalement on projette ce qui nous regarde ! De plus, toute peinture est abstraite si on la regarde de très près ! À la bonne distance de l’iconicité, je reconnais « La Mort de Sardanapale », mais si je m’approche, je ne vois que des nuages rouge, vert et violet qui s’entremêlent dans une tempête.
Oui, c’est la maxime de Maurice Denis : « Se rappeler qu'un tableau – avant d'être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Mais alors, si le sujet du nuage n’en est plus un, cela renvoie-t-il au rôle accru de la couleur ?
Les couleurs sont en effet très importantes et, par exemple, j’aime le bleu turquoise ou le brun Van Dyck. Mais j’ai également travaillé avec du rouge ou du rose, auquel j’ajoute des couleurs complémentaires. La peinture est une sorte de cuisine. Au départ, j’ai donc un énoncé conceptuel, mais je développe des procédés techniques, comme la liquidité ou le fait de ne pas mettre beaucoup de peinture sur un pinceau et d’appuyer. Utiliser le spray est aussi une manière contemporaine de peindre, mêlée au pochoir, qui est assez enfantin, ou au couteau comme dans les grandes peintures de Gerhard Richter. Employer beaucoup d’huile peut encore évoquer Sigmar Polke. Certaines techniques sont attachées à des grands noms de la peinture ; Francis Bacon introduit l'usage du chiffon sur ses portraits, par exemple, et un problème formel et de composition peut toujours se résoudre par l'utilisation ou l'invention d'une technique.
Justement, en peinture votre pratique paraît assez intuitive et spontanée. Comment l’intégrez-vous à vos installations ou vidéos qui semblent beaucoup plus élaborées dans la lenteur.
J’aurais tendance à dire que c’est le même procédé, car toutes mes vidéos ou mes objets sont composés de manière sensuelle et intuitive. On peut d’ailleurs dénoter des rapprochements formels entre les peintures et les volumes. Mon rapport à la chose intellectuelle n'est pas si intellectuelle. Si je vois un énoncé conceptuel dans une peinture cubiste, je vois aussi des couleurs et des lignes de tensions dans un livre de philosophie que je lis. En ce moment, je réfléchis à une idée d’exposition qui consiste à parler de l’art romantique, que l'on rattache d'ordinaire à la subjectivité créatrice, au plaisir et à l'intuition. Pour caractériser cette forme d'art, j'essaye de l'opposer à l'art conceptuel par la relation que ces deux mouvements entretiennent avec le sens, la signification. Je crois que l'artiste romantique a digéré la défaite du sens, tandis que le conceptuel cherche à signifier sans médiation. « Le préfixe conceptuel de l’art romantique » (sous-titre de mon exposition) serait de montrer que l'on accepte de perdre en toute lumière… C'est ce que je sais…
Peinture de nuages (Montréal), huile et peinture en spray sur toile, 200 x 150 cm, 2017
Perdre par rapport à d’autres périodes de l’histoire de l’art ?
Pour moi, la période romantique est l’acceptation de la défaite et cela est transparent, sans médiation. C’est un peu dur, mais l’accès au sens n’aura pas lieu, également en réponse aux Lumières et à la raison éclairant le monde. La révolution des Lumières, liée au Néo-classicisme, impose que la raison objective va nous guider, en lien avec l’idée de progression et d’esprit absolu d’Hegel. Le Romantisme rétorque que la subjectivité et les émotions dominent, dans un monde que l’on ne comprend pas. Donc d’un point de vue formel et sémiotique, cela signifie que le sens ne sera jamais donné. Si l’on avance plus en amont, l’art conceptuel des années 1960 prônait le concept pur, à la limite sans matérialisation, donc le concept donné de manière transparente, par un accès direct.
Justement, le fait que l’art conceptuel soit né aux Etats-Unis, et même à New York durant une période en pleine croissance économique, est également révélateur pour vous ? Car l’art conceptuel est assez autoritaire…
Même très autoritaire. C’est l’autorité de la raison, sans médiation… même s’il faut le comprendre en réaction à l’art informel. Les Américains ont développé un art conceptuel tautologique, qui se décrit lui-même et, à mon sens, ne dit rien. Joseph Kosuth, par exemple, se révèle dans une médiation pure du vide. En revanche, Lawrence Weiner relate des images mentales, il est davantage poétique, donc en lien avec un certain dehors. Mais il existe nombre d’arts conceptuels, un des plus anciens étant celui de René Magritte.
Vos formes, qui sont souvent récurrentes, renvoient également à l’art classique. Pourquoi ?
Je suis plutôt un « artiste classique », oui. Même si je m’intéresse à la question de l’écran plat, aux crypto monnaies, à la politique actuelle, aux thèses sur la fin de l'histoire et aux questions de genre, je les approche d'une manière classique. Le rapport entre la nature et la technologie, qui dialectise la composition de nombre de mes pièces, émet des hypothèses sur la manière qu'a l’homme de se positionner sur terre... Les questions métaphysiques, existentielles et du quotidien, celles que la philosophie traite, m’intéressent. Le prochain film que je vais tourner parle d’ailleurs de l’histoire d’un homme qui, le matin mange un œuf et le soir une poule. Face à cette question de l’origine, cet individu n’en a cure car il est juste un consommateur. Je travaille ici sur une figure classique, mais également contemporaine.
Cloud Paintings, vue d'exposition, Arsenal Contemporary, New-York, 2017
Quel est le rapport à la narration dans votre travail ?
J’ai un lien important à la fiction, qui induit une narration et que j’ai nourri avec un personnage conceptuel comme Sébastien Planchard ou des références à Constance Mayer, la première femme de Pierre-Paul Prud'hon. Ensuite, je me suis intéressé à l'événement et à la vérité, et à présent, je peux encore avoir recours à la fiction, mais les peintures de nuage n’en relèvent pas.
Donc à l’instar de ce Frank Stella disait : « ce que vous voyez est ce que vous voyez » ?
Oui, je connais cette citation, mais j’ajouterais, ce que vous voyez est ailleurs…
Que va-t-on voir d’ailleurs à l’exposition du CAPC, de Bordeaux, à partir du 8 mars 2018 ?
Pour le Capc, je fais l'hypothèse qu'une exposition fonctionne comme une ville, mais pas n'importe laquelle : une ville en proie à une question essentielle. J'ai décidé d'intituler l'exposition Thèbes, car c'est la cité qui était gardée par une Sphinx, et qui posait une question sur l’origine de l’homme. Tant que la ville ne sait pas répondre à la question elle doit perdre ses habitants qui se font dévorer... Pour l’exposition, ce ne sont pas les habitants mais les significations qui se font dévorer. Reste à savoir qui est la Sphinx !
Février 2018
Peinture de nuages (Montréal), huile et peinture en spray sur toile, 200 x 150 cm, 2017